Blog de Laurent Bloch
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Un film de Simone Bitton :
Les Mille et un jours du Hajj Edmond
Après leur départ, il reste la lumière des Juifs du Maroc
Article mis en ligne le 4 avril 2025
dernière modification le 5 avril 2025

par Laurent Bloch

Dans son film précédent, Ziyara, la cinéaste franco-marocaine Simone Bitton nous livrait le récit d’une visite aux cimetières juifs marocains, aujourd’hui entretenus par des gardiens musulmans, puisque les juifs sont partis (ils furent 300 000 dans le Royaume), mais toujours visités par les descendants des défunts, qui viennent de France, des États-Unis ou d’ailleurs. La réalisatrice se faisait d’ailleurs réprimander par le gardien du cimetière où est enterré son grand-père, à Rabat : « bien sûr, la tombe est abîmée, il y a 50 ans que personne n’est venu la voir, où étais-tu ? À Paris ? Ce n’est pas loin, Paris, les autres ils viennent ! ». On peut voir Ziyara sur les plates-formes VOD.

Le nouveau film de Simone Bitton Les Mille et un jours du Hajj Edmond a été présenté au Festival international du film de Marrakech, aux journées cinématographiques du Mucem à Marseille, au Festival Cinéma du réel de Paris à l’Arlequin ; à ce jour il n’est malheureusement pas prévu de sortie en salle, mais il sera visible sur les plates-formes en ligne.

Ce film est consacré à un intellectuel juif marocain né en 1917 à Safi et mort en 2010 à Rabat, Edmond Amran El Maleh, connu comme le Hajj Edmond, écrivain, militant communiste et pour l’indépendance, journaliste, professeur de philosophie, artiste plasticien. Il laisse une œuvre foisonnante, littéraire, politique, journalistique, on peut trouver certains de ses textes sur Amazon, sur papier ou au format électronique ePub, par exemple son premier roman Parcours immobile publié en 1980 à l’âge de 63 ans.

Cette lettre cinématographique, adressée à l’écrivain par la réalisatrice Simone Bitton, mêle extraits de textes, témoignages, images d’archives et les propres mots de la cinéaste. Ainsi se dessine le souvenir d’un homme attachant et érudit, habité par les tragédies, comme celles du départ des Juifs du Maroc et de l’exode des Palestiniens arrachés à leur terre, qu’il met en parallèle. À une époque où le mouvement sioniste déployait une activité intense pour inciter les Juifs marocains à partir s’installer en Israël, avec d’ailleurs un grand succès, Edmond El Maleh a déclaré : « je ne connais aucun pays nommé Israël », et il est resté.

Après la mort du roi Mohamed V en 1961, Hassan II instaure un régime dictatorial absolutiste que l’on nomme les années de plomb. Simone Bitton a d’ailleurs consacré un film à Mehdi Ben Barka, partisan de Mohamed V avant que celui-ci ne le repousse dans l’opposition à l’instigation de son fils le futur Hassan II, puis assassiné en 1965 en région parisienne par des agents marocains avec la complicité active des autorités françaises (voir aussi le film de Serge Le Péron).

Les années de plomb incitent Edmond El Maleh à s’exiler. Au lycée Lyautey de Casablanca où il enseignait il avait fait la connaissance d’une collègue professeur de philosophie française, Marie-Cécile Dufour : ils se sont mariés, puis installés en France en 1965. Le film montre de belles images de la Bourgogne natale de Marie-Cécile. C’est la mort de celle-ci en 1999 qui le décidera à retourner au Maroc.

Il a défendu la cause du peuple palestinien et sa résistance à l’occupation israélienne et a publié une déclaration sur le massacre de Jénine en 2004 intitulée « J’accuse », dans laquelle il a condamné la brutalité israélienne. Il a également condamné l’agression israélienne sur la bande de Gaza.

Ce qui saute aux yeux à la projection du film, c’est que le Hajj Edmond avait un talent exceptionnel pour se créer des amis : apparaissent à l’écran de très nombreux témoignages émanant de milieux très divers, intellectuels (Dominique Eddé, Leïla Shahid par exemple), artistes, la dame qui s’est occupée de lui à la fin de sa vie, le maître d’hôtel de l’hôtel où il avait ses habitudes. Et lors de ses obsèques, tous ces gens se sont retrouvés au cimetière d’Essaouira, berceau de sa famille, où il avait souhaité être enterré. Le Palais royal avait affrété un avion spécial pour les transporter depuis Rabat, parce qu’Edmond El Maleh est toujours connu et honoré dans son pays.

En sus d’être très intéressant, le film est très beau, comme le précédent, notamment les paysages, tant au Maroc qu’en Bourgogne. La côte atlantique du Maroc est superbe, surtout surplombée des mausolées peints en bleu et blanc d’un vieux petit cimetière. En Bourgogne la réalisatrice a cherché le décor d’une photo d’Edmond avec Marie-Cécile, le contraste avec le Maroc est fort mais ce n’en est que plus beau.


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