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Assises de la Souveraineté numérique
Le Bal des cybervampires
Article mis en ligne le 25 mars 2016
dernière modification le 1er avril 2016

par Laurent Bloch

Trois parlementaires respectables et quelques vrais professionnels...

Ce matin j’ai assisté aux 3èmes Assises de la Souveraineté Numérique, présidées par mes députées préférées, Laure de la Raudière et Corinne Erhel [1], sans oublier la sénatrice Catherine Morin-Desailly. Dans la salle ou à la tribune ne manquaient pas de véritables professionnels qui savaient de quoi ils parlaient : Louis Pouzin, Tariq Krim, Bernard Benhamou, Alexandre Zapolsky et quelques autres.

... noyés dans un casting minable

Mais à part eux : quel mauvais casting ! Tous ceux qui perdent depuis des décennies, et qui font perdre la France parce qu’ils drainent marchés publics, subventions et aides diverses pour ne rien en faire sauf de l’endettement, Orange, Nokia France (ex-Alcatel), plus quelques organismes publics au passé prestigieux mais qui ne savent visiblement pas prendre le virage de la révolution cyberindustrielle, ERdF, SNCF...

Le plus consternant, entendre Didier Renard, directeur adjoint d’Orange Cloud for Business, président de l’Institut de la Souveraineté Numérique, affirmer d’un ton assuré que la France n’était plus depuis vingt ans et ne serait pas à l’avenir dans les couches basses de l’industrie informatique, composants électroniques et systèmes d’exploitation (cf. une excellente analyse] de Benoît Léger-Derville). Entendre un dirigeant à ce poste manifester une telle incompétence, une telle ignorance de la réalité pour s’occuper de laquelle il est payé est révoltant. Le pire est qu’en disant cela il prend sans doute ses désirs pour la réalité.

Rappelons donc ici quelques faits : il y a dans le monde, à ma connaissance, une petite trentaine d’usines en mesure de fabriquer des composants à la géométrie inférieure à 32 nanomètres (par convention, la référence est la longueur de la grille du transistor). Ces usines appartiennent à six (6) entreprises : Intel, Samsung, Global Foundries (propriété du fonds émirati ATIC), STMicroelectronics, TSMC et UMC. Elles sont situées dans sept (7) pays : États-Unis, Corée du Sud, Taïwan, France, Allemagne, Israël et Singapour. La France est donc un des sept pays au monde à posséder cette technologie (cf. sur ce site un article sur l’usine de Crolles), un des deux pays européens (et même le seul si on considère que l’usine Global Foundries de Dresde appartient à un fonds émirati), mais pas pour longtemps si tout le monde continue à l’ignorer et à s’en moquer comme de l’an 40. STMicroelectronics a fait huit milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013 (et employé, directement ou indirectement, plus de 30 000 personnes), mais éprouve des difficultés, et le jour où la Chine possédera les technologies qui lui manquent sur ce terrain ce lui sera très difficile de lutter. S’il y a un point où une vraie politique industrielle devrait être appliquée c’est là, plutôt que de jeter de l’argent par les fenêtres sous lesquelle attendent les employeurs de MM. Didier Renard, Evanno et quelques autres. Pensons à la filière nucléaire (Areva, Alstom, EdF), un grand succès que nos brillants technocrates ont réussi à transformer en désastre. Je ne mentionne même pas le Cloud souverain tellement c’est ridicule.

Nokia, Alcatel, Lucent, trois naufrages pour le prix d’un

Alcatel a longtemps été vu comme un leader de l’industrie des télécommunications, mais ceux qui y avaient regardé de plus près savaient que même lorsqu’ils paradaient en haut du classement, il y a une quinzaine d’années, les vers avaient déjà mangé l’intérieur du fruit. Plein de suffisance, Alcatel a été le dernier industriel du secteur à comprendre que l’Internet avait un certain avenir, ses investissements dans les technologies correspondantes ont été tardifs et insuffisants, il préférait vivre de la rente des marchés protégés de son compère France Télécom, qui bientôt l’accompagnera dans la tombe. Quant à Lucent, avec qui il fusionnera en 2006, héritier d’AT&T, c’était la même chose de l’autre côté de l’Atlantique, bref, le mariage de deux entreprises à l’agonie par manque de clairvoyance.

Pendant ce temps-là, Nokia régnait sur le téléphone mobile. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au lancement de l’iPhone par Apple en 2007, qui provoqua en quelques années l’éviction de Nokia de ce marché, où seuls survivent Apple avec l’iPhone et Google avec Android.

Ce qu’il faut savoir, c’est que Nokia possédait dans ses cartons, et commercialisait assez discrètement depuis 2005, un système d’exploitation mobile comparable à Android mais plutôt meilleur, plus ouvert et plus libre (base Linux Debian), Maemo, qui aurait pu lui permettre de tenir son rang dans le marché des smartphones renouvelé par Apple. En février 2010 le projet Maemo a été fusionné avec le projet similaire Moblin d’Intel, sous le nouveau nom MeeGo, c’était un excellent système soutenu par deux industriels aux reins solides.

Mais voilà, en septembre 2010 Nokia change de PDG, en remplaçant Olli-Pekka Kallasvuo par Stephen Elop qui, jusqu’alors, travaillait dans la division Business de Microsoft ; cette nomination a été perçue comme une OPA déguisée de Microsoft sur Nokia, à l’époque encore leader mondial des téléphones mobiles (34 % de part de marché, loin devant Samsung) et même des smartphones (41 %).

Début février 2011, l’ancien dirigeant de Microsoft annonce un partenariat avec cette même entreprise et la nomination d’un de ses anciens collègues à la tête de Nokia États-Unis. Les systèmes d’exploitation Symbian OS et MeeGo sont abandonnés et remplacés par Windows Phone, dont la charité commande de ne rien dire, si ce n’est qu’il n’a jamais dépassé les 3 % de part de marché. Bref, Nokia a cru en Microsoft et en est pratiquement mort. Mais même une entreprise agonisante peut en racheter une qui ne vaut plus rien, comme Alcatel-Lucent. Mais on ne voit pas en quoi ces brillants exploits justifient de venir parader sur l’estrade des Assises de la Souveraineté Numérique, si ce n’est pour illustrer le catalogue des erreurs fatales à ne surtout pas commettre.

Idées de politique industrielle

Comme nos gouvernants semblent à court d’idées pour une politique industrielle qui pourrait nous sortir du marasme, voici mes deux sous sur la question :

 les temps et les techniques sont mûrs pour lancer enfin des ordinateurs plus légers et qui consomment moins d’électricité, à base de processeurs ARM (ce sont les processeurs les plus répandus au monde, pas une lubie de geeks, ils sont dans vos téléphones portables) ; Windows et Linux fonctionnent sur de telles architectures ; ARM est une entreprise britannique qui conçoit des circuits, que STMicroelectronics sait fabriquer ; la question serait de stimuler le portage de logiciels vers une telle plate-forme ;
 je sors de la présentation du projet echoPen ; c’est un projet, à base de logiciel et matériel libres, de système d’échographie portable qui serait l’homologue du stéthoscope, présent dans tous les cabinets de généralistes ; le prix visé est de l’ordre de la centaine d’euros, contre 20 000 dollars pour le matériel analogue chez General Electric.

Je suis sûr qu’en réfléchissant (mais pas avec M. Renard) on peut en trouver d’autres. Ce ne sont que deux idées ponctuelles, qui doivent trouver place dans un mouvement général vers l’iconomie, l’économie de la nouvelle révolution industrielle. Sans prise en compte de cet impératif, les bavardages sur la courbe du chômage ne seront (ne sont) que paroles en l’air, irresponsables.