Les brevets sur les logiciels
Pour illustrer les analyses que Michel Volle fait de la concurrence monopoliste et de la prédation dans son livre Prédation et prédateurs, j’évoquerai ici un phénomène qui concerne un certain type de stock : les brevets sur les logiciels, dont j’ai parlé dans un article précédent.
Soit une petite entreprise qui crée un logiciel novateur. Si l’on est sous le régime de la brevetabilité du logiciel, ce qu’aujourd’hui l’Europe refuse, à la différence des États-Unis, cette entreprise va déposer un brevet pour les idées novatrices de son logiciel, c’est-à-dire en fait pour le logiciel lui-même, dans la mesure où un logiciel n’est qu’une collection
d’idées. Les géants du logiciel, Microsoft, Oracle, IBM, déposent
chaque année des milliers de brevets pour des idées très générales.
Microsoft détient un portefeuille de l’ordre de 7 000 brevets.
Il est très probable que n’importe quel logiciel nouveau empiète sur
le domaine décrit par un de ces milliers de brevets, et en tout cas il
serait très laborieux et très coûteux de s’assurer du contraire. De ce
fait, si un jour un géant du logiciel détenteur de milliers de brevets
souhaite s’approprier les idées novatrices de la petite entreprise
donnée ici en exemple, il lui suffira d’agiter la menace d’une violation
d’un de ses brevets pour lui extorquer un accord de licence croisée
totalement déséquilibré.
Dans un tel contexte, la création de logiciels devient une activité
très risquée, et les petites entreprises novatrices ne peuvent
l’exercer sans danger qu’en étant sous-traitant d’une entreprise en
situation de monopole. En effet, même si devant un tribunal le brevet
de la grande entreprise (ou son invocation à l’encontre du logiciel
en question) pouvait être contesté, le coût de la procédure serait
mortel pour la petite entreprise.
Un exemple de brevet vraiment abusif
Les milliers de brevets des firmes monopolistes sont-ils vraiment abusifs ?
Sans doute pas tous, mais un exemple vraiment abusif est celui de l’algorithme PRA (Purported Responsible Address) qui permet à partir des en-têtes d’un message électronique de déterminer quel est son expéditeur. Il est décrit par le document normatif RFC 4407, il dit que pour déterminer l’auteur d’un courrier électronique, il faut d’abord consulter l’en-tête Resent-Sender
s’il est présent, sinon l’en-tête Resent-From
s’il est présent, sinon l’en-tête Sender
s’il est présent, sinon l’en-tête From
s’il est présent. Cet algorithme, que tout programmeur débutant peut coder en quelques lignes, fait l’objet d’un brevet détenu par Microsoft, qui a conduit à l’abandon par l’IETF (Internet Engineering Task Force, l’organe de normalisation de l’Internet) du projet MARID (MTA Authorization Records in DNS) destiné à créer une norme ouverte d’authentification du courrier électronique.
Une prédation peut en cacher une autre
Petite prédation dans la grande : si les dirigeants de l’Office européen des brevets sont de grands partisans de l’alignement sur les règles américaines et donc de l’adoption des brevets sur les logiciels, c’est parce qu’ils sont financièrement intéressés, à titre personnel, à l’accroissement du nombre de brevets enregistrés. Bel exemple de captation de la régulation par le secteur régulé !