Site WWW de Laurent Bloch
Slogan du site

ISSN 2271-3905
Cliquez ici si vous voulez visiter mon autre site, orienté vers des sujets moins techniques.

Pour recevoir (au plus une fois par semaine) les nouveautés de ce site, indiquez ici votre adresse électronique :

Communication de Blandine Kriegel
La souveraineté a-t-elle encore un sens dans un monde globalisé ?
aux premières Assises de la Souveraineté numérique (2014)
Article mis en ligne le 28 mars 2016

par Laurent Bloch

Le 13 mai 2014 se sont tenues à Paris, sous le patronage des députées Laure de la Raudière et Corinne Erhel, les Assises de la souveraineté numérique, où furent abordées ces questions. La philosophe Blandine Kriegel vint nous y rappeler les doctrines de la souveraineté, depuis Jean Bodin (1576) et Thomas Hobbes (1651) jusqu’à Emmanuel Kant (1795), pour attirer notre attention sur l’existence de deux conceptions assez différentes de cette notion. Les vues de Bodin et de Hobbes correspondent aux politiques des puissances continentales de leurs temps, que le souci de concentrer leurs forces pour assurer leurs décisions face à des pouvoirs impériaux despotiques a conduit à établir des États souverains administratifs imprégnés d’absolutisme. La France est un bon exemple : le souverain, fût-il le peuple d’après 1789 représenté par des députés élus au suffrage universel, y est absolu et ne saurait tolérer l’autonomie de corps intermédiaires, comme en témoignent la loi Le Chapelier d’interdiction des associations (promulguée contre les corporations, elle fut utilisée plus tard contre les syndicats ouvriers) et le faible développement de ce que l’on appelle la société civile, c’est-à-dire d’organes représentatifs de groupes de citoyens, non élus par l’ensemble des électeurs mais néanmoins légitimes de par leur contribution à l’intérêt public.

Cependant, Locke et Hume énoncent une théorie plus conforme à la vision des puissances maritimes, Angleterre et Pays-Bas. dont les États-Unis seront les héritiers. Selon cette vision la souveraineté est instaurée par des transactions entre plusieurs instances, souverain, gouvernement, parlement, associations de citoyens, ce que l’on nomme la société civile. Cette conception, organisée autour des idées de justice et de droit, engendre un contexte où la notion floue de gouvernance trouve mieux sa place, ce qui aide à comprendre le fonctionnement de l’Internet.

Blandine Kriegel infère de cette analyse qu’une position judicieuse devrait se tenir entre deux écueils à éviter : tenir les internautes pour des citoyens parfaits auxquels ne devrait s’appliquer aucune forme d’autorité, ou au contraire tomber dans l’ornière du souverainisme et du protectionnisme en mobilisant le bras armé de l’État administratif contre la liberté perçue comme un risque extérieur. Le développement de la liberté entraîne le développement tout court, mais pour échapper au despotisme impérial il faut de la force, ce qui veut dire accepter une régulation internationale négociée entre les États et les acteurs civils. On peut citer les Pensées de Pascal : « La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. »

Ces analyses s’appliquent bien à l’ordre intérieur mais laissent en suspens la question de la régulation internationale, pour laquelle il faudrait plutôt faire appel à Kant et à son Projet de paix perpétuelle [1795]. Blandine Kriegel rejoint ici le professeur d’informatique Kavé Salamatian pour qui la gouvernance de l’Internet devrait être confiée à une agence des Nations Unies à créer, qui ne serait pas l’Union internationale des télécommunications (UIT, une agence de l’ONU) et qui associerait représentants des États, des entreprises concernées et de la société civile, représentée par exemple par des ONG distinguées pour leurs contributions.