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L’économie française va au gouffre avec le consentement général
Article mis en ligne le 25 novembre 2012
dernière modification le 7 décembre 2016

par Laurent Bloch

Au cours des trois dernières années j’ai eu la chance de participer à des groupes de travail qui réunissaient des experts et des responsables opérationnels pour réfléchir aux transformations de la société et de l’économie induites par la troisième révolution industrielle, celle de l’informatique, de l’Internet et des technologies numériques. Il s’agissait aussi d’imaginer comment la France pourrait tirer son épingle de ce jeu.

De 2009 à 2011, piloté par Michel Volle et sous la responsabilité de François Rachline, ce fut un séminaire de l’Institut Montaigne qui déboucha sur le rapport Le défi numérique - Comment renforcer la compétitivité de la France. En 2011 et 2012, le Club Jade présidé par Mehdi Benchoufi s’efforça d’attirer l’attention des candidats à l’élection présidentielle sur ces questions cruciales, en vain faut-il le dire. Cette année c’est l’Institut Xerfi qui s’attaque au sujet, à nouveau à l’initiative de Michel Volle, et avec le soutien sans faille de Laurent Faibis, dirigeant de Xerfi.

La participation à ces travaux m’a suggéré quelques idées, sans doute simplistes, et j’invoque l’indulgence des autres participants à ces travaux. En voici néanmoins deux ou trois.

Savons-nous nous adapter au déplacement de l’activité économique ?

Au fil du temps certains secteurs de l’économie se développent, d’autres périclitent. En période de révolution industrielle, ces transformations deviennent brutales, s’y adapter demande discernement et énergie, et le sort de ceux qui restent au bord de la route est cruel. Pensons aux bouleversements par lesquels la part de la population totale vivant de l’agriculture (ménages agricoles) est passée de 67% en 1789 à moins de 2% aujourd’hui (cf. Jean Molinier, Économie et Statistiques 91-1). Cela n’a pas signifié la disparition de l’agriculture, mais son industrialisation. Aujourd’hui, l’industrie classique n’est pas menacée de disparition, mais elle s’automatise, et les produits qu’elle met sur le marché sont des assemblages de biens et de services dont la consistance est assurée par un système d’information (cf. M. Volle). Si le rival à court terme de l’ouvrier français peu qualifié est l’ouvrier chinois, à cause de son salaire misérable, son rival à moyen terme, lorsque le salaire chinois aura augmenté, sera l’usine informatisée adossée à un système d’information complexe, qui intègre le réseau de distribution comme les équipes de conception, ainsi que les sous-traitants et les fournisseurs (cf. sur ce même site un article à ce propos). Cette nouvelle économie, au sein du groupe de travail de l’Institut Xerfi, nous avons décidé de la nommer iconomie.

Quelle est la posture de la France face à cette révolution ? Prenons un exemple : En 1974, aussi étrange que cela puisse paraître au lecteur de 2012, les industries électroniques japonaise et française étaient sur un pied d’égalité, tant en termes de chiffres d’affaires que de portefeuilles de brevets. Dans les années qui suivirent, le Ministère japonais de l’industrie, le MITI, anima une politique volontariste de recherche et développement, avec les résultats que l’on sait. Dans le même temps, l’essentiel du budget du ministère français de l’industrie était consacré à éponger les dettes des charbonnages et à soutenir la sidérurgie. Est-il besoin d’en dire plus ?

Le drame, c’est que cette attitude est constante : surtaxer les activités émergentes et prometteuses pour maintenir à grands frais les activités condamnées en coma dépassé. Les débats actuels sur l’imposition des startups et sur la sidérurgie en témoignent.

Les salariés peuvent-ils recevoir une formation qui les prépare aux changements ?

Bien sûr, les syndicats sont attentifs au sort des personnels employés dans les secteurs en perdition. Trop souvent, la seule solution proposée est le maintien à tout prix d’une activité condamnée, parce que les personnels n’ont aucune autre issue à leur portée. Lorsqu’une entreprise disparaît, sur quoi ses personnels peuvent-ils faire fond pour trouver un nouvel emploi ? Leur formation, et plus précisément leurs diplômes, sont des atouts essentiels, et s’ils en sont dépourvus ils risquent de se retrouver dans une impasse.

Faisons-nous ce qu’il faut pour la formation continue des travailleurs ? On pourrait croire que oui : notre pays est doté d’une loi qui impose aux entreprises de plus de dix salariés de consacrer au moins 1,6% de la masse salariale à la formation professionnelle. Mais cette législation est souvent détournée vers des formations de qualité incertaine, qui peuvent être considérées comme des villégiatures aux frais de l’entreprise ou comme des périodes de congés supplémentaires. Ces dispositifs sont aussi utilisés par les syndicats pour se faire financer. D’autre part, même lorsqu’il s’agit de formation effective, les entreprises privilégient souvent les formations étroitement liées à un poste de travail particulier, et qui ne permettront pas la reconversion du salarié en cas de besoin.

Dans le numéro 139 (automne 2012) de Commentaire, Mathilde Lemoine, directrice des études économiques de HSBC France, envisage la position des Français face à la mondialisation, notamment sous l’angle de l’aptitude à s’adapter à des modifications du marché du travail. Elle souligne l’importance, pour faire face à de telles situations, des formations diplômantes dispensées par de vrais organismes d’enseignement indépendants, telles que les universités et les autres institutions du ressort de l’Éducation nationale. Or de ce point de vue la France est très mal placée, au 25ème rang de l’Union européenne, derrière la Grèce (source Eurostat).

Pour résumer, notre politique économique, industrielle et de formation n’encourage pas les activités novatrices et n’aide pas les salariés à s’y engager, ce qui nous prépare à un déclin inéluctable avec un taux de chômage insupportable.

Notre marché de l’immobilier est un boulet

Le fonctionnement de notre marché de l’immobilier (cf. un exposé d’Alexandre Mirlicourtois) aggrave cette situation : malgré la diminution de la demande solvable, les prix restent très élevés, phénomène accentué par des droits de mutation élevés, ce qui est un obstacle majeur à la mobilité des travailleurs. Le marché de l’immobilier dépend étroitement des dispositions législatives et réglementaires entre les mains du gouvernement (cf. à ce propos une émission de France-Culture avec Hervé Le Bras et Nicolas Duvoux). Il dépend aussi des collectivités territoriales, soumises aux suffrages des habitants installés plutôt qu’à ceux des candidats au logement.

Donc si nous allons dans le mur, c’est volontairement, ou du moins par paresse et impéritie. La France est soit-disant la cinquième puissance mondiale par son PIB : en fait, c’est beaucoup parce que nous mangeons notre capital, au rythme de 70 à 80 milliards d’euros de déficit de la balance des échanges commerciaux chaque année (aucun pays ne peut soutenir cela durablement). Notre vrai rang, c’est celui que nous occupons dans les nouvelles activités de la nouvelle révolution industrielle, soit, selon des classements comme celui établi chaque année par IBM et The Economist, plutôt vers la 25ème place, et nous descendons. Si l’on estime que cette place est celle vers laquelle notre PIB tend, cela nous mettra au niveau qui est actuellement celui de la Pologne, qui elle est en ascension.

La démographie nous sauvera-t-elle ?

Lors de comparaisons entre la situation de la France et celle de l’Allemagne, il est souvent noté que notre démographie est plus dynamique, alors que l’Allemagne s’achemine vers le vieillissement et la décroissance de sa population. C’est un avantage, certes, à condition que cette jeunesse qui nous arrive soit munie des savoirs et des compétences qui lui permettront de contribuer à notre redressement. Sur ce même site, la question est abordée dans un autre article, et aussi dans celui-ci. En bref, notre système éducatif tarde à introduire dans ses programmes et ses cursus les nouvelles compétences indispensables pour participer au nouveau système productif.

En tout cas, un autre article du numéro 139 (automne 2012) de Commentaire, signé de François Vatin, professeur à Nanterre, donne une courbe qui augure mal de l’avenir de notre système éducatif. Il s’agit de l’évolution du rapport entre le salaire du maître de conférences débutant à l’université et le SMIC. La baisse est continue depuis 1984, et le maître de conférences sera au SMIC en 2025 si la courbe (qui est une droite) se prolonge. Rappelons qu’un maître de conférences a suivi entre 8 et 10 ans d’études supérieures et qu’il entre en fonctions à près de trente ans.